jeudi 20 septembre 2012

Froid

Nous avons, dans mon école, des élèves sans papiers. Ils ont vécu des trucs atroces dans leurs pays d'origine, souvent il n'y a plus de papas, et ceux qui parviennent jusqu'en France ont été torturés. Ils ont fait des étapes dans d'autres pays, sont arrivés ici grâce à des passeurs...

Ici, ils sont pris en charge par des associations et sont en attente de régularisation.
Ils vivent dans un centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA), une chambre par famille; les enfants sont scolarisés dans mon école donc, ils y passent 15 jours ou plusieurs mois. On ne sait pas forcément pourquoi ils disparaissent. Pour d'autres on sait.

Plusieurs familles du CADA ont reçu une OQTF, comprenez Obligation de Quitter le Territoire Français. Et refusent de quitter le foyer. Cet été, une loi a été votée, interdisant le séjour des enfants en centre de rétention. Vide juridique qui profite à ces gens déjà si malmenés par la vie...

Et aujourd'hui, j'ai réalisé que j'étais bien naive, pour ne pas dire complètement conne.
La préfecture achète des billets d'avion. Il n'y aura pas de passage par la case centre de rétention. D'ici la trêve hivernale, le 15 octobre, les flics vont débarquer un matin au CADA pour embarquer les familles sous le coup de l'OQTF  et les amener directement à l'aéroport.

Un matin, F. ne sera pas dans ma classe. Et ses 2 copines de CADA également dans ma classe seront traumatisées d'avoir vu les autres familles expulsées, certainement sans ménagement.
F. aura été réveillé par les cris, on le sommera de s'habiller et de prendre ses affaires... Ca sera vite vu, il n'a rien. Ils n'ont rien ces enfants-là. Et surtout pas d'enfance.
Je l'imagine ce matin-là, lui F., le révolté. Est-ce qu'il criera, refusera d'avancer, ou obéira-t-il, résigné?

Quelle vie l'attend là où il retourne, ce pays qu'il a fui?
Quelle vie, pour eux tous?
Et que vaut ma révolte à moi dans tout ça? Rien.

Je suis comme tous les Français. Je courbe l'échine.

J'ai tenté de le tenir toute la journée. De l'empêcher de passer sa colère et sa haine sur les autres. Je me suis même assise à côté de lui, et je lui ai dit que j'avais de la peine, vraiment, sincèrement, mais que ce n'était pas de notre faute, aux autres élèves et à moi.
Que dire d'autre? Que dire à un enfant qui va repartir sur le chemin de l'exil et de la souffrance?

Je ne sais même pas comment finir ce message. Je me sens si insignifiante. Que faire, que faire, à part attendre, et vomir.

Margot