jeudi 12 juillet 2012

L'instruction

Cette année, mes 2 grands (13 et presque 10 ans) ont été instruits en famille- ce qu'on appelle l'IEF. Je préfère parler d'instruction en famille que d'école à la maison, ce dernier sous-entendant qu'on reproduit le système scolaire chez soi. Or, moi, ce système, je le rejette de plus en plus.

Cela faisait longtemps que l'idée me turlupinait. Depuis que j'avais su qu'on avait le droit de ne pas scolariser... Mais ensuite, il y a eu d'une part les impératifs matériels (j'étais seule avec 2 enfants, un loyer à payer...) et d'autre part, pendant un temps, la crainte de "ne pas y arriver"... De ne pas arriver à trouver la distance entre la mère et l'enseignante, de ne pas arriver à instruire mes enfants, qu'ils n'aient pas le niveau, que je m'énerve...

Par contre, jamais je n'ai considéré que je ne pourrais pas les supporter toute la journée, argument que j'entends souvent de la part des parents scolarisant. J'ai toujours adoré qu'on soit ensemble, les enfants et moi, toujours adoré faire des choses avec eux.
Notre société nous fait croire depuis très longtemps qu'il est normal de séparer le plus tôt possible les enfants de leurs parents et même que ça serait le plus sain.
On oublie ou on refuse de voir que les enfants qui sont libres de se lever à l'heure qu'ils veulent et de faire ce qu'ils veulent dans la journée sont plus sereins, plus décontractés, et donc nullement pénibles à vivre!

Mais ne brûlons pas les étapes et revenons à nos débuts en IEF.
Quand je suis tombée enceinte de notre Grenouille, j'ai eu des flashs immédiats: accouchement à domicile et pas d'école pour elle! Mk était totalement d'accord, ouf!

La question s'est posée pour mes 2 grands mais à ce moment-là, ils étaient "bien" à l'école. Habitués disons. Les copains, tout ça...
L'année dernière a été catastrophique pour eux sur le plan humain et moral. Ma grande était à la limite de la dépression, mon bonhomme pétait les plombs.

Ils sont cette fois sauté sur l'aubaine quand on leur a proposé une déscolarisation.

Quelle drôle d'impression, à la rentrée, de ne pas courir dans les grandes surfaces pour acheter le matériel, de ne pas mettre le réveil, de ne pas se lever par contrainte... de n'avoir pas de contrainte autres que celles qu'on se donnait - pas de contrainte extérieure, donc, arbitraire et discutable.
Ceci dit, moi, j'avais des contraintes: je bosse deux jours par semaine... dans une école primaire... je suis prof des écoles!
Et les contraintes, les enfants en ont: arriver à l'heure aux activités, participer à la vie de famille...

Et puis, j'avoue, l'instruction.
J'avoue aussi que si on leur a demandé de travailler régulièrement, c'était pour nous rassurer, nous, les parents.
Pourtant je sais qu'il faut avoir confiance en ses enfants, que les enfants ont envie d'apprendre si on leur en laisse les moyens, mais on était trop paumés et angoissés pour attendre que les choses se mettent en place d'elle-mêmes.
Il est évident que nous laisserons par contre la Grenouille apprendre à son rythme - ce qui est l'un des plus grands intérêts de la nonsco. Et effectivement, c'est en famille que les enfants apprennent, naturellement, à parler, à compter, à apprendre le vocabulaire de base, à faire des additions, à lire et écrire parfois...
Evident aussi que nous retenons mal voire pas ce qui nous est imposé.

J'ai à ce sujet un exemple personnel; enfant, je n'ai rien appris en grammaire. Je n'en avais rien mais rien à faire. Bon, à force, j'ai retenu des trucs sur la nature ou la fonction des mots dans la phrase (sujet, verbe, nom...) mais globalement j'étais nulle.
Heureusement, on nous fiche vite la paix avec ça et j'ai pu avoir un bac littéraire sans problème.

Arrivée en fac de lettres modernes, je me suis rétamée aux premières études de texte. Bin oui, quand on parle de déterminant alors qu'il s'agit d'un adverbe, ça énerve le prof!
Qu'à cela ne tienne, je m'y suis mise. A cet âge-là, j'étais mûre (je persiste à penser que c'est contreproductif de bourrer le mou des jeunes élèves avec ce genre de détails) et surtout motivée! J'ai tout compris et retenu en 10 minutes. Et je n'ai rien perdu de ce savoir.
Qui ne m'est plus d'aucune utilité, en passant!
Mais quelle importance?

C'est d'ailleurs un des aspects du problème que me pose l'école: pourquoi apprendre telle chose à tel moment et pas autre chose? Pourquoi telle chose est-elle digne d'être apprise et pas une autre?
Pourquoi n'enseigner que des choses supposées "utiles". Pourquoi tout savoir, toute connaissance devrait-elle être immédiatement utile? S'intéresser à la grammaire c'est s'interroger sur la construction de la langue, ça ne permet pas de devenir boulanger ou avocat mais l'instruction n'a pas pour but de conduire vers un métier. On apprend ce dont on a envie parce qu'on en a envie. Je me suis éclatée au collège et au lycée avec la géométrie, j'adorais ça, même si aujourd'hui j'ai oublié les théorèmes de Pythagore et Thalès... Je pense que ça m'a formé l'esprit, ça m'a obligée à être ordonnée et réfléchie... La grammaire, pour reprendre cet exemple, est du même ordre à mon avis (je me suis éclatée à la fac avec les subordonnées conjonctives!) Après, si certains s'en servent dans leur quotidien, tant mieux, mais pour moi, la fonction première, c'est d'élever l'esprit, de stimuler les neurones, de mettre de l'ordre, d'inciter à la réflexion, d'exciter l'envie, après, peu importe que ce soit par la grammaire, les maths, les sciences, le chinois, ou la musique... Dommage qu'en haut lieu, on considère qu'il y a un savoir légitime et un autre illégitime, et des choses à savoir absolument à certains moments précis de manière totalement arbitraire.

C'est là qu'on en arrive au dernier point: il y a des choses à apprendre, à savoir, pour qu'on puisse ensuite les recracher en vue des examens et concours. Ceux qui réussissent sont ceux qui ont su entrer dans le système, rien de plus - dit-elle alors qu'elle a un bac+5 et un concours à son actif...
Et justement, là encore, j'ai des exemples:
J'ai changé de fac entre mon deug et la licence, passant de la fac de Poitiers à celle de la Sorbonne. En juin et en septembre, j'ai échoué à une épreuve et j'ai retapé la licence; j'ai à nouveau échoué en juin de l'année suivante. A ce moment-là j'étais déjà maman, et j'avais décidé de laisser tomber mes études si je loupais en septembre... Heureusement, j'ai rencontré pendant l'été une étudiante qui m'a expliqué ce qu'on attendait de moi: il y avait par exemple une étude de poésie, il fallait indiquer le style des vers, je répondais par une phrase, "dans la première strophe les rimes sont plates et dans la deuxième elles sont croisées"; en fait, il fallait répondre uniquement par des chiffres et lettres, soit "1: AABB, 2: CDCD".
Non mais, je vous demande un peu le sens de tout ça? En quoi avais-je tort, en quoi avais-je faux? Je répondais juste différemment!
Bon, j'ai décidé de rentrer dans le moule, j'ai eu 13/20 et j'ai continué mes études.

Alors je le dis, je le redis, haut et fort: tout savoir est légitime et on n'a pas tous les mêmes aptitudes ni les mêmes envies; il y a plusieurs façons d'apprendre les choses et ensuite de les utiliser. A chacun de savoir s'il veut ou non rentrer dans le moule. Je pense qu'il est difficile de ne pas faire des concessions et certainement ça me rassurerait que mes enfants aient des diplômes, mais je les soutiendrai quel que soient leurs choix. Je veux les aider à aller là où ils veulent. Pour le moment, ça passe par un "savoir traditionnel", au cas où ils souhaitent passer le bac, mais nous faisons beaucoup de choses en dehors des clous, et j'ai laissé tomber ce qui me semble actuellement inutile (comme la grammaire :p ). S'ils sont libres, si leur rythme et leurs envies ont été respectés, ils pourront bachoter ce qu'ils n'auraient pas appris avant (comme je l'ai fait pour la grammaire à la fac, mais aussi pour le latin qui me sortait par les yeux et que j'ai trouvé rigolo à 20 ans - n'oublions pas, en passant, qu'on peut apprendre toute sa vie, et pas seulement entre 6 et 16 ans...)

Ma fille de 13 ans a décidé de retourner au collège l'année prochaine. Elle sait qu'elle va perdre la grande liberté qu'elle a eue cette année mais les débuts en IEF ont coïncidé avec un changement de région et elle a eu du mal à rencontrer des jeunes de son âge.
Mon fiston, lui, ne veut jamais retourner à l'école. Il est typiquement le genre d'enfant qui ne peut s'adapter aux contraintes scolaires.
Il nous a bien fallu une année pour trouver une façon de procéder, nous n'avons cessé de faire des ajustements et réajustements. Je pense être à peu près claire avec tout ça actuellement. On va continuer de faire un peu tous les jours (et si certains jours on ne fait pas, ce n'est pas grave), de l'institutionnel qui me semble important comme l'orthographe, les opérations, et du non institutionnel comme la pâtisserie, les balades dans la nature, l'histoire d'autres pays ou toute chose qui bottera mon fiston (Rome, en ce moment); et surtout continuer de parler et de sauter sur toutes les occasions d'apprendre parce que c'est ça, l'instruction en famille: le quotidien. Il n'y a pas d'enseignant ni d'élève mais des gens désireux de vivre à leur rythme et d'apprendre ensemble - grâce à mon fils, j'ai enfin compris qui était Nabuchodonosor...

Margoton

5 commentaires:

  1. Que cela me fait plaisir de lire tout ceci.. je me demandais où vous en étiez.
    Mon inquiétude personnelle pour l'instant, c'est de rater son apprentissage lecture/écriture. Pas forcément fonder mais voilà.
    Tu as un livre en particulier, pour la lecture, que tu vas prendre pour ta fille ?

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  2. Oh ben super, c'est très positif tout ça! :D
    La lecture/écriture, c'est formel mais vraiment pas le plus compliqué! ;)

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  3. En tant que prof de langue, je regrette souvent que mes élèves sachent si peu de grammaire: comment leur faire comprendre l'accusatif s'ils ne savent pas ce qu'est un COD? (Mais moi, la grammaire, j'aime trop ça, les inspecteurs me l'ont assez reproché...)
    Bon courage à ta grande pour son retour en milieu scolaire!

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  4. Je réponds dans un post à part à Dame Ambre et Bismarck;)
    Mari, oui, je vois mieux où je vais, et pourquoi ;)

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  5. contacte Ariane Albers ancienne de Tiboo, elle pourra t'aider pour ton fils ;)

    http://www.lesenfantsdelachance.org/

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